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L’exposition « Inca. Or. Pouvoir. Dieu » au Patrimoine Culturel Mondial Völklinger Hütte, Allemagne.

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Du 05 mai 2017

au 08 avril 2018


Meinrad Maria Grewenig | Patrimoine Culturel Mondial Völklinger Hütte.

Directeur Général


Frank Krämer |

Directeur du projet


Carole Fraresso | Musée Larco. Lima, Pérou.

Commissaire Scientifique.


Un hommage. Quel autre mot choisir pour décrire l’exposition « Inca. Or. Pouvoir. Dieu » ?

Le parcours proposé au Patrimoine Culturel Mondial Völklinger Hütte met en lumière le choc des cultures et célèbre avec beauté le prestigieux patrimoine péruvien.


Pour les habitants du Pérou précolombien, l'or et l’argent étaient des matériaux divins, opposés et complémentaires, qui symbolisaient la « sueur du soleil » (divinité solaire) et les « larmes de la lune » (divinité lunaire) alors que les Espagnols n'y voyaient qu'une valeur matérielle et économique [1]. Le mythe d’Eldorado en Amérique du Sud trouve son origine dans le clivage entre ces deux systèmes de valeurs inconciliables. Après « IncaGold » (2004/2005) [2], le Patrimoine Culturel Mondial Völklinger Hütte revient sur 3.000 ans d’histoire de la fascinante civilisation péruvienne, à travers une sélection de 220 somptueux objets hérités des Incas et de leurs prédécesseurs, jusqu’à leur rencontre avec la culture européenne du XVIe siècle.


Outre les croyances et l’univers rituel des civilisations de l’ancien Pérou, l'exposition se penche sur la conquête espagnole de l'Amérique du Sud par Francisco Pizarro, à partir de 1532. Plus de la moitié des pièces présentées au public sont des objets cérémoniels et des parures en or, argent et cuivre doré légués par les sociétés pré-incaïques du nord du Pérou : Chavin, Cupisnique, Vicus, Mochica, Lambayeque, Chimu et Inca. Les œuvres exposées témoignent d’un monde emplit de dévotion où les métaux précieux, de symbolique duelle « Or/Argent », avaient un rôle majeur dans la mise en scène des rituels et des cérémonies ainsi que dans l’identification et la matérialisation des pouvoirs politiques et religieux du monde précolombien [3]. Elles témoignent aussi de la fascination que suscite, depuis plus de quatre siècles, la civilisation Inca et les cultures qui les ont précédés. Enfin, elles remémorent l'affrontement avec la culture européenne dont le système de valeurs était contraire à celui du monde andin.

Retour sur l’imaginaire

Dans l’imaginaire européen, les trésors du Pérou précolombien sont généralement associés à la civilisation Inca. Ce phénomène s’explique par la diffusion partout en Europe, à partir du XVIe siècle, des récits et des illustrations collectés par des chroniqueurs espagnols qui décrivaient les coutumes et les évènements intervenus dans le « Nouveau Monde » [4] : un vaste territoire qui était sous le contrôle de l’empire inca du Tahuantinsuyo depuis sa capitale, Cusco.

Pourtant, les pièces en métal d’origine inca sont rares dans les collections des musées internationaux et, à ce jour, quasi inexistantes dans les relevés archéologiques (Fig.1). La rareté des joyaux incas peut s’expliquer à travers deux facteurs : d’abord, par la fonte systématique des objets de culte et d’identité inca opérée durant la conquête espagnole qui nous a privé de précieux témoignages matériels ; ensuite, les faits techniques et archéologiques tendent à montrer que les Incas, dont l’expansion de l’empire n’a duré que 100 ans, semblaient privilégier les arts textiles sur l’orfèvrerie. Comme la majorité des cultures de l’Altiplano, les Incas construisaient l’identité de leur groupe à travers de somptueux textiles sophistiqués [5,6]. Ce n’est qu’au moment de la conquête des territoires du nord du Pérou que l’Inca Suprême fit transférer les orfèvres chimus et leurs savoir-faire à Cusco afin qu’ils travaillent exclusivement au service de la noblesse inca.


Culture inca (1300 - 1532 apr. J.-C.). Or, Argent, hauteur 6,5 cm et 5,9 cm. Dépôt du Musée d’Annecy, exposées au Musée des Jacobins d’Auch. DA 9596/97 Fig. 1 : Parmi les rares pièces d’orfèvrerie inca connues, figurent des figurines représentant un homme et une femme nus. Ces couples symbolisent la notion fondamentale de dualité dans les sociétés andines : soleil/lune, féminin/masculin, jour/nuit, sec/humide, etc. Elles étaient offertes aux dieux lors des rituels de capacocha (obligation royale).

L’exposition « Inca. Or. Pouvoir. Dieu » présente des pièces particulièrement représentatives de l’orfèvrerie péruvienne dont le foyer de développement trouve son origine, dès 1200 av. J-C., dans les régions du nord du Pérou.


Plus de 140 pièces de l'exposition proviennent du Musée Larco de Lima qui abrite la collection d'art précolombien péruvien la plus complète au monde. Les céramiques, textiles, pièces de plumasserie et les objets en or et argent de cette collection privée sont d’une grande qualité artistique et informative ; de plus, les objets de cette collection sont bien documentés et font l’objet de nombreuses études académiques. Leur variété de formes, de matériaux et leurs richesses iconographiques offrent donc la possibilité de raconter les croyances et de se remémorer le rôle des objets en métal dans les sociétés du Pérou précolombien durant 3.000 ans d’histoire.

Ayant participé, en 2002, à la réalisation du catalogue en ligne d’environ 1500 objets métalliques et à l’étude technologique des coiffes frontales Mochica en or de cette importante collection [7], la sélection des pièces s’est faite de façon très naturelle, voire intime. Le cœur de l’exposition s’est construit autour d’une sélection de 140 objets d’exception avec l’équipe du Musée Larco. Collaboratrice du Musée Larco depuis 15 ans, je partage avec cette institution une passion commune pour le patrimoine culturel du Pérou précolombien et la même envie de le transmettre au monde avec une approche actualisée et moderne.


Le discours de l’exposition devait être fluide, clair et inspirant. Ce dernier a été enrichi avec des pièces provenant de collections européennes comme celles des musées de Vienne et d’Hildesheim qui sont réputées dans le monde entier. Une soixantaine de pièces inédites du Musée des Jacobins d'Auch, qui abrite une importante collection d'art précolombien, est aussi pour la première fois présentée au public international. Enfin, le Musée de l'Armée de Paris complète l’exposition en montrant des armes espagnoles et des pièces de sellerie du temps des conquistadors.

Le catalogue de l’exposition se voulait passionnant, didactique et accessible ; son écriture visait à raconter une histoire et à imprégner le lecteur du monde andin plutôt qu’à décrire les œuvres une à une.


Mise en scène époustouflante

S’inspirant de deux conceptions du monde radicalement différentes, l’exposition a été conçue autour de la notion de dualité - culturelle et technique- en choisissant une ancienne usine sidérurgique du XIXe siècle comme écrin aux trésors d’orfèvrerie du Pérou millénaire (Fig. 2).


Fig. 2 : « Inca. Or. Pouvoir. Dieu » au Patrimoine Culturel Mondial de Völklinger Hütte. ©Kaiserliche Grabbeigaben.

Le parcours de l’exposition occupe la totalité des 6 000 m2 de l’ancienne salle des soufflantes de l’aciérie du site de Völklingen, classée au Patrimoine Culturel Mondial de l’Unesco depuis 1994. Le risque était de manquer d'âme et d'intimité, mais il n'en est rien. La finesse des ouvrages en or et en argent, façonnés à la main avec la technique traditionnelle du martelage (Fig. 3), contraste élégamment avec les imposantes machines qui symbolisent le savoir-faire industriel de la fonte brute.

L'exposition est intelligemment conçue. Elle est agrémentée de photographies grands formats qui montrent la richesse de la biodiversité du Pérou et d’une reconstitution du “Cuarto del Rescate” de l’Inca Atahualpa mais aussi d’un espace où peuvent s’apprécier les armes et les armures des conquérants Espagnols. Ainsi, le visiteur est immergé dans le monde andin d’avant et du temps de la conquête tout en évoluant à travers deux logiques de production du métal totalement différentes : l’une, artisanale à vocation symbolique ; l’autre, industrielle à vocation économique.


Fig. 3 : Trousseau impérial Chimu (1100 - 1470 apr. J.-C.) Or (alliage or-cuivre-argent). Musée Larco de Lima, ML100861, -858, -859, -860, -856, -857, -855. Ce trousseau funéraire, ayant appartenu à un seigneur enterré dans la capitale de Chan Chan, témoigne de l’identité souveraine d’un gouvernant chimu et de sa relation symbolique avec le dieu soleil. Unique au monde, cet ensemble complet témoigne des savoir-faire d’excellence des orfèvres du nord du Pérou qui mettaient en forme de grandes feuilles d’or (inférieures à 1 millimètre d’épaisseur) pour créer des parures à la fois imposantes, mobiles et légères.

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[1] Garcilaso de la Vega: El Inca

Comentarios reales de los Incas. Tomo I, II, III, Edition Biblioteca Peruana, Lima. 1973 [1609].

[2] Ramiro Salas Bravo, Doris Kurella et Andrés Alvarez-Calderón Larco: InkaGold. 3000 years of advanced civilisation, Catalogue d’exposition, Edition Völklinger Hütte, Kherer Editeur, Allemagne, 2004.

[3] Fraresso, Carole: « Ancient Peruvian Gold and Silver Jewellery: Fashion and Religion », dans Berg Fashion Library Encyclopaedia of World Dress and Fashion, Online Exlusives, Berg Publishers, p.1-8, Oxford, 2011.

[4] Guamán Poma de Ayala, Felipe Nueva crónica y buen gobierno. Codex péruvien illustré. Avant-propos par Paul Rivet. Renseignements sommaires par Richard Pietschmann. Travaux et mémoires de l'Institut d'Ethnologie 23. Institut d'Ethnologie, Université de Paris, Paris, 1936 [1615].

[5] Lechtman, Heather : Cloth and metal: the culture of technology. Dans, E. H. Boone (dir.) Andean Art at Dumbarton Oaks, vol. 1: 33-43. Dumbarton Okas Research Library and Collection, Washington D.C. 1996.

[6] Desrosiers, Sophie: Logicas textiles et logicas culturales en los Andes. In : Saberes y memorias en los Andes, s.l.d. de Th. Bouysse-Cassagne : 325-349. Lima : Institut Français d’Etudes Andines/Paris : Institut des Hautes Études sur l’Amérique Latine. 1997.

[7] Fraresso, Carole: L’usage du métal dans la parure et les rites de la culture Mochica (150-850 ap.J.-C.), Pérou. PhD Thesis. IRAMAT-CRP2A, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, 598 p., Bordeaux, France, 2007.

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